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Indissociabilité de l'éducation et de l'instruction, à la recherche de l'Autre collectif apte à la parrêsia.

A première vue, l'éducation et l'instruction sont deux choses bien différentes. L'instruction serait relative aux savoirs et l'éducation au savoir être. Mais à l'examen un peu plus approfondi, ça ne tient pas.

 

Un point qui me semble aujourd'hui très important, liant instruction et éducation, m'avait échappé lors de la rédaction de ce premier billet sur le sujet. Il s'agit de la permission d'étudier et de comprendre que les adultes délivrent aux jeunes et plus généralement que nous nous délivrons tous mutuellement suivant le degré de confiance qu'on accorde aux dires ou plutôt aux signifiés de l'autre (plus exactement à la perception qu'on a des signifiés, permission ou pas, délivrés par l'autre). En effet, l'éducation consiste en partie à délivrer ces permis au moyen de "oui" et de "non" signifiés (cf Aldo Naouri pour approfondir cette combinaison de oui et de non, une lecture un peu rapide de Naouri qui insiste plus sur le non peut inciter à la brutalité, alors lisez un petit Dolto qui insiste plus sur le oui, l'écoute, mais qui chez elles ne veut pas dire obéir ou se soumettre aux démons de l'enfant, contrairement à la rumeur du laxisme de Dolto). De très nombreux rituels organisent la délivrance de ces permis de comprendre. C'est bien connu des sociologues qui en ont fait l'étude, à l'image de Pierre Bourdieu (Les héritiers), Vincent de Gaulejac (La lutte des places), Michel Foucault (ses écrits sur la relation savoir-pouvoir dans une perspective révolutionnaire lui faisant peut-être sous-estimer la nécessité de la stabilité sociale). La raison pour laquelle on dit que les chats ne font pas des chiens n'a très probablement rien de génétique mais tient bien plus probablement à ce mécanisme rituel de délivrance de permis d'apprendre (qui présuppose une légitimité, donc une maîtrise suffisante des connaissances du domaine concerné). Le rôle de l'école est primordial dans ce processus, parce qu'elle peut se substituer aux parents et permettre à des chats de devenir des chiens. Il s'agit bien d'un rôle éducatif en prise directe avec l'instruction.

La condition de délivrance du permis est basée sur la perception de l'intégration jugée correcte des contraintes réelles par le jeune. Du côté du "jeune", c'est en premier son incontournable désir d'apprendre, encouragé et suscité par sa perception de la compétence de l'adulte ou de l'Autre à lui délivrer ce permis qui pesera, ainsi qu'un facteur affectif, subjectif. Instruction sans éducation pose quelques problèmes, en particulier celui de la prise de pouvoir du délire (action basée sur des appuis non vérifiables et imaginaires). Mais on ne peut nier qu'elle est aussi soumise aux limites imposées par les normes sociales, celles-là même qui permettent le maintien des héritiers et de l'abus de pouvoir (surveiller et punir; vérité, pouvoir et sujet). Toutes les perversions auxquelles nous sommes sujets participent aussi à la distorsion des conditions de délivrance des permis. La parrêsia (le franc-parler) chère à Michel Foucault n'est jamais tout à fait de mise. J'adhère à l'idée de Jean Zin de militer pour une philosophie de l'information qui recoupe fortement cet objectif de parrêsia, mais je crois que la pratique sociale, socialisée de cette philosophie de l'information est la seule piste ordinaire pour y parvenir (on peut croiser des Autres exceptionnels capables de susciter cette parrêsia, ce courage de la vérité, par exemple des analystes), parce qu'elle peut permettre de tenir à distance nos troubles individuels, ou plutôt de les mettre à jour et ainsi les neutraliser. C'est le fondement de la sociocratie que de rechercher et se donner des règles de fonctionnement collectif capables d'approcher cet Autre collectif sorti de l'âge de la meute aliénante (version hermétique de l'autre collectif "organique" peu apte à l'écoute et à la vérité, mais plutôt apte à faire corps).

La dynamique de groupe est généralement (en théorie) bannie des pratiques enseignantes parce qu'elle renvoie aux pratiques communautaires faisant pression sur l'individu. La capacité régulatrice de l'Autre collectif est jetée avec le bain communautaire. Les classes sont pourtant le siège, à la fois des pressions de type communautaire ou moutonnièr (un élève qui participe est un fayot), et à la fois de régulation des délires individuels (les arguments des élèves et des enseignants sont soumis à la critique de la classe).

Il faut bien reconnaître que les adultes co-éducateurs ayant le pouvoir de délivrer les permis ne sont pas nécessairement à la hauteur. Ainsi, tous les scandales de l'industrie pharmaceutique (mediator...), de l'agroindustrie (OGM, pesticides, herbicides, engrais), de la finance (subprimes, Enron, Madoff....), les élites qui se comportent en voyous sur la route, et bien d'autres proviennent d'adultes censés maîtriser l'ensemble des contraintes en lien avec leur domaine d'autonomie (de pouvoir) et démontrant pourtant le contraire. Ces scandales ont probablement un fort effet destructeur sur la légitimité à éduquer, à délivrer des permis d'autonomie aux jeunes. Bon courage aux profs pour rattraper les dégâts!

 

La parrêsia de Michel Foucault:


Le Courage de la vérité est la seconde partie d’un cours dont le titre général est Le Gouvernement de soi et des autres, cours dont la première partie avait été prononcée l’année précédente. Durant le cours de 1982-1983, en effet, Foucault avait étudié la notion de parrêsia (mot grec formé sur le pronom pan (tout) et le verbe rein (dire) et qu’on peut traduire par « dire-vrai » ou « franc-parler ») dans ses implications d’ordre politique. Il s’agissait alors de dégager ce qu’on pourrait appeler une condition non formelle de la démocratie athénienne : le courage d’un dire-vrai s’exerçant depuis l’exposition publique d’une tribune politique. Ce qui rend effectif et authentique le jeu démocratique, c’est ce « courage de la vérité » (l’expression apparaît déjà) qui suppose toujours une prise de risque et une mise en jeu de l’existence même du citoyen prenant la parole dans l’assemblée et acceptant le débat contradictoire.On peut dire qu’autant le cours de 1982-1983 aura insisté sur les implications politiques de la parrêsia, autant celui de 1983-1984 met l’accent sur la dimension proprement éthique de cette dernière, les deux, n’étant jamais, pour les Grecs, très éloignées.

 

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