Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Les valeureux Hussards Noirs et la sociocratie

Du centralisme jacobin à la délégation de pouvoir

Publié sur le forum de Philippe Meirieu

 

Contre vents et marées, contre la société de l'époque, les Hussards Noirs soutenus par les institutions ont érigé une Muraille de Chine entre la société et l'école afin que l'héritier soit remplacé par le citoyen rompu à l'exercice de la raison et assez érudit pour faire ses propres choix sans être influencé ni par son rang, censé ne plus exister, ni par l'église. Ce choix courageux et raisonné est parfaitement bien argumenté par les cinq mémoires sur l'instruction publique de Condorcet (1791) qui est sans doute un des meilleurs penseurs de l'instruction de l'époque et dont beaucoup d'arguments demeurent valides aujourd'hui. (Pour les pressés, son discours, en 2 pages sur l'instruction, présenté à l'assemblée législative en avril 1792).

On peut facilement comprendre qu'à l'époque, l'école ait eu à lutter contre des forces contraires considérables et qu'elle ne serait pas parvenue à s'imposer sans cette poigne de fer. Toutefois, cette sanctuarisation virile de l'école au service du citoyen et donc de la république, a eu comme inévitable effet d'ériger l'autorité de l'école et de ses maîtres, en aveuglement, en surdité et en obstination. Tout d'abord, la porosité entre l'école et la société n'est pas nulle quoi qu'on décide, et le mieux est d'en tenir compte et de la gérer plutôt que de l'ignorer. Ensuite, l'héritage social n'est pas mort à la révolution malgré tous les espoirs et les efforts qu'on a mis sur l'école. Le livre de Bourdieu "Les héritiers" atteste de cette persistance sociale. Enfin, l'école est demeurée sourde au rôle de l'écoute en éducation et en instruction, tantôt en s'abritant derrière une confusion entre écouter et obéir, refusant d'écouter sous prétexte de refuser d'obéir, tantôt en revendiquant l'impossibilité matérielle à prendre en compte chaque individualité.

D'autre part, le progrès qui sous-tend toute l'architecture de l'autorité de l'école, qui fonde la société du progrès et de la raison s'étiole sous nos yeux. Toutefois, nous y croyons encore un peu, bien que nous ne soyons plus tout à fait certains que nos efforts d'aujourd'hui apporteront une vie meilleure à nos enfants. Saurons-nous marier l'écologie et le progrès afin de replacer nos actions dans un cadre responsable et enthousiasmant? L'école a besoin de cette assise du sens sans laquelle son autorité est comme en apesanteur.

La démocratie s'est progressivement étendue à la famille et l'émancipation de la femme nous conduit naturellement de l'autorité paternelle à l'autorité parentale. C'est que la femme passe progressivement du statut de servante à celui de compagne. Cette modification est en cours et est encore bien mal maîtrisée, laissant bien souvent les enfants devenir la proie de leurs pulsions, devenir des "sauvageons". Sans compter que même dans les familles maîtrisant bien la conduite de l'autorité parentale et où la complémentarité fructueuse du père et de la mère apporte une éducation éfficace à l'enfant, l'écoute a pris une grande place, attestant ainsi de la meilleure prise en compte des valeurs féminines. L'école ne saurait ignorer ces évolutions touchant l'éducation des élèves qui lui sont confiés.

Si on peut toujours être d'accord avec les principes de sanctuarisation de l'école afin qu'elle ne soit le jouet d'aucun groupe d'influence (famille comprise), il n'en demeure pas moins qu'elle ne peut ignorer ces évolutions dont elle est en partie responsable grâce à son rôle positif dans l'émancipation féminine, la pénétration de la démocratie dans la famille et l'application de la raison. De plus, de nombreuses expériences de pédagogie active ont montré que l'instruction pouvait s'appuyer efficacement sur le dynamisme des élèves sans pour autant que l'école sombre dans le laxisme ni qu'elle soit la proie ou le jouet de groupes d'influence externes. C'est une question de définition des domaines d'action et de responsabilité et non une question globale qui cliverait nos rapports à l'école selon deux choix: les tenants de l'autorité d'un côté et les laxistes (pédagogistes rêveurs) de l'autre . Il est tout à fait possible de s'inspirer des principes de la sociocratie (mariage de la hiérarchie, de l'écoute et de la participation), comme l'a expériementé Kees Boeke* pour définir au sein de l'école qui est responsable de quoi et mobiliser efficacement l'énergie des élèves sans pour autant que la direction abandonne le moins du monde ses responsabilités de direction, mais au contraire s'y consacre pleinement. Mais il faudrait que l'état s'engage dans cette voie et donne aux directeurs et aux enseignants le droit de s'organiser selon ces principes éprouvés et au fond de bon sens, qu'elle les reconnaisse responsables dans leur domaine, afin qu'eux-mêmes sachent susciter et baliser la responsabilisation progressive des élèves, c'est à dire qu'elle les accompagne dans leur devenir adulte citoyen. Mission qu'elle manque aujourd'hui dans les faits, et qui est pourtant une de ses principales prérogatives, à cause de cette conception autoritaire unilatérale et sourde, omnipotente et finalement paralysante et de cette hiérarchie bureaucratisante et infantilisante.

 

*Kees Boeke (1884 – 1966), psychosociologue et pédagogue Hollandais reprit le terme « sociocratie » inventé par Auguste COMTE pour décrire un mode d’organisation basé sur l’équivalence des participants et la prise de décision par consensus, mode d’organisation qu’il a expérimenté au sein de la Werkplaats Community School in Holland. Kees Boeke formula pour cela 3 règles fondamentales :

 

  1. Les intérêts de tous les membres sont pris en considération, chacun acceptant de se soumettre aux intérêts de la communauté
  2. Une solution n’est adoptée que si elle est acceptée par ceux qui vont la mettre en œuvre
  3. Tous les membres sont prêts à agir conformément aux décisions prises unanimement

Retour à Tous les articles

 

Les commentaires sont fermés.